Par Marcel Dugas.Marcel Dugas est historien. Il s’intéresse aux Royaux depuis 2013. Vous pouvez suivre son fil Twitter consacré à l’équipe au https://twitter.com/Royaux_saison46

Quand le président des Royaux de Montréal Hector Racine a annoncé la tenue d’une conférence de presse le 23 octobre 1945, il a dit avoir une annonce « qui révolutionnerait le monde du baseball » à faire. Beaucoup de Montréalais ont cru que la ville recevrait une franchise des ligues majeures, mais l’annonce était d’une autre nature. Les Royaux deviendraient la première équipe de baseball affiliée aux ligues majeures du XXe siècle à aligner un joueur noir : Jack Roosevelt « Jackie » Robinson.

Depuis plus d’un demi-siècle, les magnats du baseball observaient une règle non-écrite : Ils n’offraient pas de contrats à des afro-américains. Les majeures étaient réservées aux blancs alors que les noirs jouaient dans différents circuits que l’on a regroupé sous le nom de Negro leagues. Tout cela a changé lorsque Branch Rickey, président et directeur-général des Dodgers de Brooklyn, a décidé d’intégrer son organisation. Et c’est au sein de son club-école de Montréal que ce que l’on a appelé « The great experiment » (la grande expérience) allait débuter.

Robinson a eu son premier contact avec le baseball organisé lors du camp d’entraînement en Floride, un état où l’on pratiquait ouvertement la ségrégation raciale. Ce camp a été un véritable calvaire. Il a été chassé de la ville où avait lieu le pré-camp d’entraînement. Sa présence a causé l’annulation de sept matchs hors concours. Jackie a même dû être retiré d’une partie après deux manches, le chef de police locale ayant menacé d’arrêter la rencontre si l’on s’entêtait à faire jouer des noirs.

À défaut d’en avoir mis plein la vue au camp d’entraînement, Robinson a été sensationnel lors du premier match de la saison. À sa deuxième présence au bâton dans la ligue Internationale, il a frappé un circuit de trois points. Il a terminé la rencontre avec 4 coups sûrs en 5, quatre points produits, quatre points comptés et deux buts volés. La table était mise pour ce qui allait suivre.

Jackie Robinson à Montréal : La saison 1946 en quelques mots

Comme si le fait d’évoluer dans une des ligues de baseball les plus fortes au monde n’était pas suffisant, Robinson a fait face à une pression absolument extraordinaire tout au long de la saison. Il savait qu’en cas d’échec, l’intégration du baseball risquait d’être retardé de plusieurs années. Il se devait d’exceller sur le terrain. Et il devait le faire malgré l’hostilité de certains spectateurs (à Baltimore tout particulièrement) et même si nombre de joueurs d’équipes adverses (surtout ceux des Chiefs de Syracuse) utilisaient l’insulte raciale pour tenter de le déranger. Toute cette pression a bien failli venir à bout de Jackie, qui a été poussé au bord de la dépression nerveuse.

Heureusement, il pouvait compter sur le support constant des amateurs montréalais qui l’applaudissaient à tout rompre à chaque fois qu’ils en avaient l’opportunité et conspuaient les joueurs adverses qui le rudoyaient sur le terrain. Il a également été très bien accueilli par les résidents du quartier Villeray où il demeurait avec son épouse et alliée de tous les instants Rachel.

 

Au final, Robinson a connu une saison remarquable : Il a remporté le championnat des frappeurs (,349), il a dominé la ligue pour la moyenne de présence sur les sentiers (,468), les points marqués (113) et a été élu sur l’équipe d’étoiles.

Ce serait une erreur de voir l’édition 1946 des Royaux comme étant seulement l’équipe de Jackie Robinson. Il était entouré de joueurs qui, à défaut de connaître de grandes carrières dans les majeures, étaient de solides joueurs de niveau AAA. Le club a remporté 100 victoires, un record de la concession, mettant la main sur le championnat de la saison régulière par dix-huit matchs et demi.

Jackie Robinson à Montréal : La saison 1946 en quelques mots

En séries, les montréalais ont d’abord éliminé les Bears de Newark en demi-finale, avant de se débarrasser des Chiefs de Syracuse lors de la finale de l’Internationale. Ce faisant, les Royaux se sont mérité le droit de participer à la petite Série Mondiale face aux Colonels de Louisville, au Kentucky, champions de l’Association Américaine, pour le titre de meilleure équipe dans les ligues mineures.

À Louisville, Jackie a rencontré un autre public ouvertement hostile à l’intégration du baseball. Soumis à une pluie d’injures raciales, Il n’a obtenu qu’un coup sûr en dix présences officielles au bâton lors des trois matchs disputés dans le Kentucky. Les Royaux sont rentrés à Montréal tirant de l’arrière 2-1 dans la série.

Le public montréalais n’a pas apprécié la façon dont Robinson a été traité à Louisville et a fait passer son message en huant à plein poumons les joueurs du Louisville quand la série s’est transportée dans la métropole. Jackie a retrouvé ses moyens, faisant marquer le point de la victoire lors du 4e match et inscrivant le point victorieux dans le 5e.  Les Royaux ont remporté la première petite Série Mondiale de leur histoire en six rencontres.

Après la conclusion de la série, Jackie, les larmes aux yeux, a été porté en triomphe autour du terrain par les spectateurs. Comme il avait un avion à prendre, il devait partir au plus vite. Mais c’était sans compter sur l’affection que les montréalais avaient pour lui. Robinson a finalement quitté le stade en courant, pourchassé par une meute d’admirateurs. C’est ce qui a fait dire au journaliste Sam Maltin que c’était « peut-être la première fois qu’un groupe de blancs pourchasse un noir pour l’aimer et non pour le lyncher ».*

Plus tard, Jackie a raconté son départ de Montréal de la manière suivante: « Alors que l’avion s’élevait et que je voyais les lumières de Montréal s’éloigner à l’horizon, j’ai jeté un dernier coup d’œil à cette grande ville où j’ai été si heureux. ‘Tant pis si je ne joue jamais dans les majeures’ me suis-je dit en moi-même. ‘Cette ville est ma ville. C’est le paradis’ ». **

Jackie Robinson à Montréal : La saison 1946 en quelques mots

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* La citation originale de Maltin est : “It was probably the only day in history that a black man ran from a white mob with love instead of lynching on its mind”

** La citation originale de Robinson est: “As the plane roared skyward and the lights of Montreal twinkled and winked in the distance, I took one last look at this great city where I had found so much happiness. ‘I don’t care if I ever get to the majors, I told myself. This is the city for me.  This is paradise’ »