Par Marcel DugasMarcel Dugas fait des recherches sur les Royaux, tout particulièrement sur la saison 1946, depuis 2012. Vous pouvez le suivre sur Twitter au https://twitter.com/Royaux_saison46

Le mot « adversité » est utilisé à toutes les sauces dans le monde du sport, souvent pour décrire des contretemps plutôt anodins. Mais ce que Jackie Robinson et John Wright, l’autre ancien des Negro leagues invité au camp des Royaux en 1946, ont vécu au cours de leurs six semaines en Floride donne tout son sens au mot adversité.

D’abord, Jackie a eu toutes les misères du monde à atteindre la Floride. Lui et son épouse Rachel ont été tassé de deux avions parce qu’ils étaient afro-américains. Ils ont dû se résoudre à faire un long trajet en autocar dans la partie « noire » bondée du véhicule alors que plusieurs sièges étaient libres à l’avant de l’autobus, réservé aux blancs. Une fois arrivé à destination, épuisé et furieux, Jackie a bien failli mettre un terme à l’expérience et rentrer chez lui.

C’est finalement avec trois jours de retard, soit le 4 mars, que Robinson et Wright ont foulé le terrain pour leur premier entraînement. Jackie a eu peu de temps pour s’entraîner au cours de cette journée, tout occupé qu’il était à répondre (avec aplomb) aux questions des journalistes et à poser pour les photographes de presse. Aucune mention n’a été faite des événements qui avaient mené à son retard. Wright, de son côté, n’a généré aucun intérêt de la part des reporters présents. Robinson était sans conteste la star de l’intégration.

L’organisation des Dodgers avait choisi Daytona Beach comme site du camp d’entraînement, une ville réputée plus libérale que la plupart des autres communautés du sud des États-Unis. Et si Daytona Beach a été fidèle à sa réputation, l’équipe a rencontré des problèmes dès qu’elle a tenté de faire jouer Jackie et John dans d’autres villes. Ils ont dû quitter Sanford, site du pré-camp d’entraînement, en catastrophe après que des gens de l’endroit aient fait savoir que la présence des deux athlètes noirs n’était pas souhaitée chez eux. L’équipe a vu trois de ses matchs hors-concours, deux à Jacksonville et un à Deland, être annulés en l’espace de six jours en raison de la présence de joueurs noirs dans son alignement. Et vers la fin du camp, Jackie a disputé les deux premières manches d’une partie à Sanford, avant que la police locale ne force Clay Hopper à le renvoyer au vestiaire.

Comme si ce n’était pas assez, Jackie devait se mériter un poste avec le club. Voulant prouver sa valeur, il relayait de toutes ses forces au premier but à chaque fois qu’il avait la balle, ce qui lui a occasionné des maux de bras. Mais Branch Rickey lui a fait comprendre qu’il ne pouvait prendre congé; il devait à tout prix éviter d’avoir l’air de profiter d’un traitement de faveur.

Jackie peinait à trouver son rythme offensivement. Comme ses maux de bras l’empêchaient d’effectuer de longs relais, il a été déplacé au 2e, puis au premier but, où il n’avait jamais joué auparavant. Les nombreuses erreurs qu’il commettait en défense le rendait encore plus tendu – et encore plus inefficace – au bâton. Et pour couronner le tout, plusieurs médias n’ont pas attendu pour passer jugement sur son cas et les critiques étaient, plus souvent qu’autrement, mauvaises.

Les Royaux ont disputé des matchs préparatoires presque à tous les jours à partir du 5 mars sans que l’on fasse appel aux deux Afro-américains, qui n’étaient semble-t-il pas encore prêts. Le premier match hors-concours intégré du 20e siècle a eu le jour de la Saint Patrick. 4000 spectateurs, dont un millier d’afro-américains, s’étaient entassés dans le estrades du stade de Daytona Beach. Robinson a été bruyamment applaudi par les spectateurs noirs tout au long de la rencontre. Les spectateurs blancs l’ont accueilli poliment, sans plus, lors de sa première présence à la plaque, mais l’ont ovationné à ses deux présences suivantes.

En bout de ligne, Jackie et John ont tous deux débuté la saison avec les Royaux et ce, même s’ils n’en ont pas mis plein la vue sur le terrain. Jackie a maintenu une des moyennes offensives les plus faible chez les joueurs qui ont percé l’alignement de l’équipe et son jeu en défensive a souvent laissé à désirer. Wright de son côté n’a lancé que dix manches lors de parties préparatoires officielles, et n’a été ni bon ni mauvais.

Pour Jackie, le meilleur était à venir.